Les grandes orgues de la Collégiale - instrument de musique remarquable




Contrairement aux édifices historiques, qui remplissent leur fonction de monument en vertu de leur seule présence, un orgue historique n’est réalisé qu’à travers la musique qui est jouée dessus. Jusqu’au début du XXe siècle, les orgues étaient en principe construits pour la musique de l’époque et de la région en question. Cette situation devient plus complexe au courant du XXe siècle, lorsque la facture d’orgue aussi bien que la pratique musicale s’orientent en fonction de différents styles historiques, et parfois des positions contemporaines antagonistes. Ceci est particulièrement évident dans le cas de l’orgue de Moutier :

 

1.     Conformément à l‘esthétique de l’époque, l’orgue de la Collégiale appartient au style du néoclassicisme, prenant comme modèle la tradition allemande du XVIIe siècle - telle qu’elle est perçue au début des années 1960. Ce style se distingue par une sonorité brillante et riche en harmoniques, basée sur des tailles étroites et des mixtures aigües. Tout cela est réalisé dans les grandes orgues de la Collégiale dans une qualité largement supérieure à la moyenne de l’époque. Toutefois, étonnamment, Kuhn recule devant les jeux de mutation pointus, qui font pourtant eux aussi partie intégrante de l’esthétique de l’époque.

Contrairement à ce qui s’est fait dans le cas de beaucoup de révisions ou transformations effectuées sur des orgues de ce style depuis les années 1980 jusqu’à présent, nous avons résisté à la tentation d’adapter le son brillant de l’orgue de Moutier pour le conformer aux idéaux actuels (par exemple en décalant la tuyauterie ou en effectuant une réharmonisation radicale). Au contraire, notre projet prévoit d’ajouter au moins un jeu de mutation caractéristique pour l’époque. Nous pourrons ainsi contribuer à une revalorisation de cette période passionnante de la facture d’orgue.


L’instrument est maintenu tel quel en tant que monument historique.
L’unité esthétique du lieu, de l’instrument et du son n’est pas touchée.


 

2.     A l’encontre des idéaux de l’époque, Kuhn inclut également quelques registres typiques pour l’orgue symphonique français du XIXe siècle. Il anticipe ainsi sur une évolution qui ne sera pleinement développée que dans les décennies suivantes. On constate malheureusement que Kuhn – et c’est compréhensible – ne parvint pas à mener cette entreprise à terme de manière conséquente. En effet, les Grandes Orgues de la Collégiale de Moutier disent A, mais ne disent pas B.

Voici un exemple:

César Franck, Choral en mi majeur

Parce que ces jeux sont tous si spécifiques et caractéristiques de ce style de musique, ils ne peuvent pas être remplacés par d’autres. Il est donc impossible de jouer ce morceau. Et ce n’est pas une seule pièce qui est écartée ainsi du répertoire, mais tout un siècle. Et ce qui m’étonne le plus, c’est qu’ici dans le Jura francophone ce soit la musique symphonique française qui soit exclue.

Ce n’est qu’en achevant de manière conséquente les principes intégrés à la composition de l’orgue et à sa construction que la conception de l’instrument trouve toute sa pertinence. Ainsi l’orgue de la Collégiale de Moutier sera


non seulement le plus grand instrument entre Berne et Bâle,
mais le seul du Jura francophone capable de rendre la musique française du XIXe siècle




3.     L’orgue de la Collégiale de Moutier fut inauguré le 8 avril 1962. A peine quatre semaines plus tard avait lieu au dôme de Brême la création mondiale de « Volumina » de György Ligeti, événement qui marque la naissance de la musique d’avant-garde pour orgue. Grâce à leur qualité, leurs dimensions et leur esthétique sonore les grandes orgues de la Collégiale de Moutier étaient capables de rendre cette musique beaucoup mieux que beaucoup d’autres instruments de l’époque. Ceci est d’autant plus vrai aujourd’hui, au vu de la tournure qu’a pris la facture d’orgue, qui a de plus en plus tendance à laisser de côté les sonorités brillantes des années 1960. Mais ce sont certaines particularités innovatrices qui feront de l’orgue de Moutier un précurseur des nouveaux concepts dans le domaine :

Dotée de ce nouvel instrument, Moutier deviendrait


un eldorado pour la musique des XXe et XXIe siècles


 

Pour chacun des trois styles évoqués ( le néoclassicisme, l’ecole symphonique française et l’avant-garde ), il est vrai que :
C’est que en ajoutant ce qui manque que le potentiel de ce qui existe peut être vraiment épuisé.

 

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© Chr. M. Moosmann